Mei Baojiu, célèbre artiste de l'opéra de Pékin. [Photo provided to China Daily]
Mei Baojiu avait succédé à son père. Il a passé la baguette à son tour.
Il faisait partie d'un groupe restreint de comédiens chinois qui, bien avant que le terme transsexuel soit adopté, s'étaient engagés dans cette voie au nom de la grandeur artistique.
Cependant, l'influence de Mei Baojiu, mort à Beijing à l'âge de 82 ans, et de son père Mei Lanfang va bel et bien au-delà de leur personnage de nan dan, c'est-à-dire d'un homme qui joue le rôle d'une femme dans l'art de l'opéra de Pékin. L'un et l'autre ont prêté leur nom à un registre dramatique qui remonte à un siècle, soit la moitié de l'existence de l'opéra de Pékin lui-même.
Dans la splendeur de ses costumes somptueusement brodés, de son art du maquillage et de l'acrobatie, l'opéra de Pékin incarne le style théâtral national chinois. Il conjugue ces caractéristiques avec une conception unique du récit, des arts martiaux, du chant et de la danse.
Mais dans les premières années qui ont suivi la création de la Nouvelle Chine en 1949, cet art était considéré comme un « vestige de la féodalité », et pendant la « révolution culturelle » (1966-1976), ceux qui le pratiquaient étaient sanctionnés. Il réapparut après la politique d'ouverture et de réformes des années 1980, où les femmes commencèrent à monter sur scène grâce à la création plus fréquente d'écoles d'opéra chinoises.
Mei Baojiu vit sa carrière rapidement tracée. Né à Shanghai en 1934, il prenait des cours sous la tutelle du grand maître Wang Youqing dès l'âge de 10 ans, et son père profitait de la moindre pause dans son programme de tournées chargé pour prendre le garçon sous son aile.
La pratique du nan dan prit forme à une époque où la bienséance empêchait les femmes de monter sur scène, un interdit qui n'allait être levé que bien plus tard. Pendant la première moitié du 20ème siècle, les acteurs nan dan étaient au faîte de leurs pouvoirs et Mei Lanfang (1894-1961), Shang Xiaoyun (1900-76), Cheng Yanqiu (1904-58) et Xun Huisheng (1900-68), que l'on a nommés les Quatre Grands Dan, ont institué les quatre styles dan qui portent leur nom de famille. Dans ce panthéon, Mei Lanfang est considéré comme le plus grand artiste d'opéra de Pékin de tous les temps, et reconnu comme celui qui l'a fait connaître en Occident dans les années 1930. L'école Mei d'opéra de Pékin attire des milliers d'élèves et d'adeptes depuis plus d'un siècle.
Mei Lanfang a eu neuf enfants mais parmi eux, le poids du rôle de nan dan et de l'interprétation des classiques de l'Opéra de Pékin, tels que Farewell My Concubine (« Adieu ma concubine »), The Drunken Beauty (« La beauté ivre ») et Mu Guiying in Command (« Mu Guiying au commandement ») a échu aux seules épaules de Mei Baojiu.
Celui-ci fit ses débuts sur scène à l'âge de 13 ans et devint l'un des principaux promoteurs de l'école artistique de son père. Trois ans après ses débuts à Shanghai, il commença à faire des tournées avec la troupe Mei Lanfang d'opéra de Pékin et quand son père mourut en 1961, c'est lui qui en prit les rênes.
« Mon père a éliminé la distinction entre pratiquement tous les types de rôles féminins », a dit Mei Baojiu un jour. « C'était un chanteur, un danseur et un acteur très talentueux. Il était aussi très novateur en matière de conception scénographique, de partition musicale et de maquillage ».
Mei Baojiu était tout aussi doué pour l'innovation. Au cours du festival d'opéra de Pékin dans la ville de Tianjin en 2014, ses méthodes de mise en scène au goût du 21ème siècle le conduisirent à utiliser des images virtuelles en 3D et une sono en stéréo, tout en restant fidèle au style d'interprétation vocale de son père.
Selon lui, la technologie moderne était de nature à rendre l'opéra de Pékin visuellement plus attrayant et au goût du jour. « Il convient de mettre tout ce qui peut être fait pour innover au service du contenu sans l'écraser. Il ne faut jamais trafiquer les racines de l'opéra de Pékin », disait-il.
Même en traduction, cette expression artistique doit rester fidèle à son identité chinoise, confia-t-il lors d'un entretien en 2014, l'année où il s'est renduaux États-Unis avec un groupe d'interprètes d'opéra de Pékin appartenant à la Jingju Theater Company de Beijing, à l'occasion du 120ème anniversaire de la naissance de son fondateur.
Comme pour tant de choses que faisait Mei Baojiu, sa tournée américaine ne manqua pas d'évoquer son père, qui alla aux États-Unis dans les années 1930, devenant le premier acteur d'opéra de Pékin à présenter cet art traditionnel chinois hors du pays lors de représentations dans des villes telles que New York, Chicago et San Francisco. Lors de ce voyage, il se lia d'amitié avec Charlie Chaplin et rencontra les stars hollywoodiennes de l'époque qu'étaient Douglas Fairbanks père et Mary Pickford.
Le seul disciple nan dan de Mei Baojiu, Hu Wenge, âgé de 48 ans, a indiqué qu'il était aux côtés de son maître le 25 avril, jour de sa mort. « Il m'a dit que son grand-père avait communiqué son savoir et la technique théâtrale de l'opéra de Pékin à son fils, qui la lui avait alors enseignée », a-t-il déclaré dans un entretien avec le journal Beijing News. « Il espérait que je pourrais… transmettre cet héritage. C'est une grande responsabilité pour moi ».
Sun Ping, une actricechevronnée d'opéra de Pékin âgée de 55 ans, a rendu hommage à Mei Baojiu. « Sa mort est une grande perte non seulement pour l'opéra de Pékin mais aussi pour la culture chinoise », a-t-elle dit.
« Mei Baojiu a fortement appuyé mes projets. Comme son père, il s'est beaucoup efforcé de promouvoir et de transmettre sa connaissance de l'opéra de Pékin aux jeunes générations », a ajouté Mme Sun, auteur de The English Translation Series of 100 Peking Opera Classics, une publication en dix volumes de la Foreign Language Teaching and Research Press.
Mei Baojiu a aussi joué un rôle dans la sphère politique. Il a été membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois à laquelle, en 2009, il a proposé que l'opéra de Pékin soit enseigné dans les écoles élémentaires. En mars 2012, il a présenté une proposition visant à créer une version en animation de l'opéra de Pékin pour attirer un plus grand nombre d'adolescents vers cet art.
Avec la collaboration de Chen Weihua et Xinhua.
Mei Baojiu interprète la pièce classique Farewell My Concubine (« Adieu ma concubine ») en 2010. [Zhang Wei/For China Daily] |