US EUROPE AFRICA ASIA

Vive la lingua femina…

Par Wang Kaihao(China Daily) 29-09-2017

Vive la lingua femina…

Les caractères du nushu, dont la traduction en chinois indiquerait ci-dessus « conditions climatiques géographiques et humaines favorables ». [Photo provided to China Daily]

Vive la lingua femina…

Hu Xin, qui est à 29 ans l’une des plus jeunes parmi les sept héritières homologuées du nushu, s'emploie à composer les caractères rares de cette langue. [Photo provided to China Daily]

Dans le comté montagneux du Jiangyong, dans la province du Hunan, Hu Xin s'emploie à accueillir l'équipe d'une émission populaire de téléréalité venue s'informer sur le nushu, un système d'écriture qui peut avoir l'air d'une série de symboles à première vue. Xin, une résidente âgée de 29 ans, reproduit ces caractères peu courants.

Le nushu, un mot qui signifie écriture féminine, est dérivé des caractères chinois ordinaires. Il fut jadis utilisé par les femmes du Jiangyong. Cette variante du chinois écrit normal, plus fine et en apparence penchée comme en italiques, est souvent décrite comme unique au monde à avoir survécu en tant que système de caractères destinés exclusivement aux femmes. En 2006, elle a été classée comme élément du patrimoine culturel immatériel national.

Autrefois, les femmes âgées enseignaient le nushu aux jeunes filles au foyer, car la scolarisation était interdite aux filles. Lors de rassemblements dans les villages, les femmes se servaient des caractères pour écrire des poèmes et des paroles de chansons exprimant leurs sentiments à l'insu des hommes.

Xin a découvert le nushu quand elle avait huit ans. Ayant minutieusement pratiqué l'écriture manuscrite pendant toutes ses années scolaires, elle est aujourd'hui l'une des plus jeunes parmi les sept héritières homologuées de la langue en tant que forme écrite. Ses travaux ont été exposés en public, y compris à l'Expo de Shanghai en 2010. « Il faut de la patience pour examiner toute la dimension culturelle de ce système d'écriture », dit-elle.

Zhao Liming, une professeure de l'université Tsinghua à Pékin qui étudie le nushu depuis plus de 30 ans, est considéré comme la meilleure spécialiste de la Chine dans ce domaine. Elle explique que contrairement au chinois écrit courant, où chaque caractère est un élément constitutif d'un mot, dans le nushu, qui est basé sur un dialecte local, chaque caractère représente une syllabe. Elle a répertorié plus de 220 000 mots et découvert que seuls 396 caractères étaient couramment utilisés. « Mais ils sont suffisants pour communiquer les sentiments des gens », précise-t-elle.

Dans le cadre d'un projet hébergé par Zhao Liming, Talkmate, un système linguistique éducatif en ligne basé à Pékin, procède à l'élaboration d'une appli téléphonique permettant d'élargir l'enseignement du nushu à un plus grand nombre d'apprenants. La professeure espère que l'appli contribuera à corriger de fausses idées sur le nushu dans la population.

Par exemple, les gens méprennent souvent les caractères pour des symboles d'un culte secret quelconque. Le nushu n'est pas exclusivement lié à un groupe ethnique en particulier puisque la population du Jiangyong est diverse et variée, souligne Zhao Liming.

Bien que nombre de poèmes anciens en nushu aient été des écrits autobiographiques de femmes parlant de leurs difficultés dans la vie, elle relève l'absence de toute expression de sentiments aussi négatifs que des pensées suicidaires. « Les mots regorgeaient de messages d'encouragement et d'énergie positive, témoignant d'une ouverture d'esprit peu commune chez les femmes à l'époque ».

Zhou Youguang, un linguiste regretté, voyait dans le nushu « un instrument précoce de la libération des femmes ».

Zhao Liming attribue la renaissance actuelle des caractères à la promotion de l'expression de soi que favorise la société moderne. « Avec l'avènement de l'enseignement public et du droit des femmes d'aller à l'école, le nushu a perdu sa fonctionnalité. Mais les idées féministes actuelles en sont accentuées ».

La dernière héritière naturelle du nushu encore en vie, que la professeure décrit comme telle, est âgée de 77 ans. Les pratiquantes plus jeunes, telles que Hu Xin, ont appris le système d'écriture à l'école. « Ce n'est pas un héritage naturel parce qu'aujourd'hui, les styles de vie des gens sont totalement différents. Quoi qu'il en soit, il faut trouver de nouveaux moyens de l'empêcher de disparaître ».

Zhao Liming estime que le nushu étant une écriture syllabique, il peut théoriquement être traduit dans d'autres systèmes d'écriture, ajoutant qu'il est ainsi en mesure d'intégrer des contenus modernes et d'assurer la continuité de son existence.

Néanmoins, elle met en garde sur le fait que la culture ne peut être consommée de façon superficielle. C'est ainsi qu'elle a constaté, ces dernières années dans le Jiangyong, de nombreux caractères nouvellement créés. On voit apparaître des contrefaçons de livres anciens en nushu. Dans la province voisine du Hubei, le soi-disant village de Nushu fut jadis créé par une société qui recrutait des gens du Jiangyong pour venir pratiquer sur place l'écriture manuscrite du même nom.

Grâce aux efforts déployés par Zhao Liming, le nushu a été intégré dans la norme informatique Unicode au début de l'année. « On craignait que le nushu ne meure, mais maintenant, on craint que sa typographie ne soit perdue », dit la professeure. « L'adaptation moderne est inévitable pour empêcher les cultures de disparaître, mais une réglementation s'impose ».

PDF

 
Ce site est produit par le China Daily de la République populaire de Chine.