Devenue sensible à son apparence physique, la population masculine des milieux urbains stimule un marché qui répond à une nouvelle prise de conscience en Chine.
L’homme chinois en milieu urbain a désormais une conscience aigue de son physique et consacre beaucoup d’argent à ses soins personnels. Ce faisant, il a donné naissance à une industrie de divers produits cosmétiques et services connexes représentant des milliards de dollars.
L’apparence a désormais beaucoup plus d’importance qu’avant car beaucoup trop de carrières auxquelles peuvent prétendre les hommes sont tout simplement liées au physique, selon les spécialistes du secteur.
L’immeuble de bureaux où travaille Wu Kai, un expert en stratégie d’image de 28 ans à Hangzhou, dans la province du Zhejiang, se remplit chaque jour de groupes de programmeurs de logiciels portant des chemises à carreaux, des vêtements de sport et des vestes d’extérieur foncées. Mais c’est Kai et son équipe qui se distinguent des autres par leur coiffure soignée et leurs costumes taillés sur mesure à partir de tissus de haute qualité.
Pour lui, qui en a pris l’habitude à l’université, il est indispensable d’être bien habillé. Même étudiant, tiré à quatre épingles, il se détachait au milieu de groupes de garçons mal fagotés. Contrairement à beaucoup de ses camarades jetant leurs ordures n’importe où dans leur foyer d’étudiants, Kai achetait même des sacs pour les poubelles. En outre, il prenait une douche et mettait des vêtements propres tous les jours.
Pour autant, ce n’est absolument pas quelqu’un d’excessivement ordonné ou maniaque. Il est généreux, accommodant et extraverti, mais il déteste se sentir sale, tout simplement. L’hygiène, une tenue soignée et chic font partie de son attitude envers la vie, et tout cela suppose d’être organisé.
Nombreux sont les hommes de son acabit en Chine aujourd’hui. Kai dépense généralement 2 000 yuan (254 euros) pour une chemise ou une veste ordinaire et se fendra allègrement de plus de 10 000 yuan pour un complet.
« Dans leur milieu professionnel et même pour certaines occasions importantes, les cadres ont besoin de savoir comment s’habiller, car cela peut avoir un effet considérable sur la façon dont on est perçu par les autres »,
dit Kai. « Le fait d’être bien habillé permet à quelqu’un de ressortir du lot, renvoyant du même coup une image positive et professionnelle de même que témoignant d’une bonne préparation sans parler d’un certain respect pour autrui ».
La prise de conscience de ce qui constitue une tenue et une présentation appropriées a ouvert à Wu Kai plusieurs perspectives décisives. Il a été choisi comme animateur du gala annuel de son employeur. Il a aussi été invité à participer à des réunions d’affaires de haut niveau. « J’ai meilleure confiance en moi quand je suis habillé correctement », dit-il. Les membres de la génération Y (les « millenials ») tels que Kai sont différents de leurs parents. Ils se préoccupent moins du temps et de l’argent qu’ils consacrent à l’attention et au soin qu’ils portent à leur personne.
Selon une étude récente de China UnionPay Co Ltd, l’association chinoise de cartes bancaires, le commerce en ligne exécuté par 23% des personnes nées dans les années 1990 représente plus de 5 000 yuan par mois, c’est-à-dire plus que toutes les autres tranches d’âge. Par ailleurs, 23% des consommateurs masculins, et 15% des femmes dépensent plus de 5 000 yuan par mois pour des achats en ligne. Toutefois, il n’existe pas de chiffres sûrs en Chine concernant le nombre de consommateurs masculins d’une part, féminins de l’autre.
Un rapport conjoint du Boston Consulting Group et de AliResearch, l’organe de recherche de Alibaba Group Holding Ltd, prévoit que le marché de la consommation en Chine, le deuxième au monde, atteindra 6,1 billions de dollars (4,9 billions d’euros) à l’horizon 2021.
La croissance future de ce marché devrait être alimentée en particulier par la classe moyenne supérieure qui se développe en Chine et les ménages aisés. Le comportement des acheteurs de la jeune génération et le rôle grandissant qu’ils jouent dans le commerce électronique multi-canal sont déterminants.
Les dépenses que consacrent les hommes aux produits de soins de la peau ont augmenté de 24% entre 2014 et 2015, par rapport à une croissance de 11% pour les dépenses globales liées à ces mêmes produits.
Zong Ning, un analyste du commerce électronique basé à Pékin, a expliqué dans un article sur le site Web iResearch qu’au fur et à mesure que les jeunes Chinois versés dans la technologie, en particulier ceux qui sont nés dans les années 1990, deviennent progressivement une force influente dans le monde de la consommation, la poussée démographique qui en résulte donne un nouvel élan aux produits et aux services pour hommes sur le marché.
Les hommes en Chine n’ont plus peur de mettre les pieds, par exemple, dans un salon de beauté et d’esthétique ou dans des boutiques de mode. Le soin à sa personne est devenu une formule respectable.
L’an dernier, le marché chinois des produits de soins de la peau pour hommes a représenté plus de 10 milliards de yuan et devrait atteindre l’an prochain 15,4 milliards de yuan, selon un rapport du cabinet CTR Market Research.
Observant la nouvelle tendance, les grandes marques de cosmétiques adaptent leurs stratégies au marché masculin en plein essor. Elles considèrent les jeunes gens comme des facteurs de succès aussi importants que les consommatrices.
Compte tenu de l’évolution grandissante des comportements masculins, Beiersdorf China, qui fait partie du groupe allemand Beiersdorf AG, envisage désormais un fort potentiel de progression des ventes en ligne de sa marque Nivea Men en Chine. Selon la firme, le secteur Nivea Men y est devenu sa plus grosse activité.
Les achats en ligne représentent aujourd’hui un tiers du total des ventes de Nivea Men dans le pays, précise Simon Cao, directeur commercial de Beiersdorf China. « Avec l’essor de l’Internet mobile et le développement du commerce électronique, le nombre de technophiles masculins préférant acheter des produits cosmétiques dans des boutiques en ligne va désormais augmenter. Nous estimons que la part des ventes en ligne va atteindre 50% à l’horizon 2020 ».
Le paysage a beaucoup changé au cours des cinq dernières années, commente M. Cao. Aujourd’hui, le commerce électronique est plus qu’un canal complémentaire des ventes hors ligne ; il est devenu le principal marché pour le développement des marques.
À l’aide de métadonnées, la plateforme en ligne de Nivea est capable d’analyser le comportement des acheteurs et de mettre au point de nouveaux produits permettant de mieux cibler les besoins particuliers du consommateur.
Il est également important de tirer la consommation vers le haut pout tenir compte du fait que les jeunes gens consacrent plus de dépenses à leurs soins, augmentent leurs achats de produits de soins de la peau et se prêtent même à des essais de maquillage, selon M. Cao. Au début de l’année dernière, Nivea Men a donc lancé de nouvelles catégories de cosmétiques, notamment des shampoings.
Nivea Men est en Chine depuis plus de 10 ans et se classe parmi les premières marques de cosmétiques pour hommes. Contrairement à L’Oréal, qui présente des images métro-sexuelles dans ses promotions, Nivea Men s’adresse à des hommes recherchant l’efficacité et dont le comportement respire l’authenticité.
« La concurrence est vraiment acharnée dans le secteur », souligne M. Cao. « La clé du succès consiste à suivre le rythme des jeunes consommateurs et des nouvelles tendances, mais aussi à conserver la loyauté des consommateurs que l’on a déjà et à en attirer de nouveaux ».