US EUROPE AFRICA ASIA

Le patrimoine entre changement et préservation

Par

David Ho et Cornelia Zou

(China Daily)
26-04-2019

Le patrimoine entre changement et préservation

Le Musée du Palais est une attraction touristique incontournable à Pékin. [Du Jia/for China Daily]

La numérisation croissante stimule les ventes sur les sites mais provoque une mise en garde contre la sur-commercialisation.

Le Musée du Palais à Pékin, également connu comme la Cité interdite, est l’un des sites historiques et culturels les plus importants de Chine. Jadis demeure des empereurs, il accueille aujourd’hui des foules de visiteurs chaque jour et ses produits sont très demandés dans tout le pays et à l’étranger.

Le site fait aussi l’objet d’une plus grande attention par son côté innovant. Parmi les marchandises proposées figure une gamme de produits de beauté élaborée par le musée et assortis d’un emballage inspiré par les dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911).

En valeur, les ventes de marchandises ont totalisé 1,5 milliard de yuan (198,6 millions d’euros) en 2017, indique Shan Jixiang, ancien conservateur et directeur du musée, qui a pris sa retraite ce mois-ci et qui s’est exprimé en février devant le forum des entrepreneurs chinois à Yabuli, dans la province du Heilongjiang.

Le succès de la ligne des produits de beauté met en évidence une transformation fondamentale de la Cité interdite, une évolution que l’on constate aussi sur les plus importants sites historiques mondiaux. Depuis l’époque où il était l’épicentre de la Chine impériale jusqu’à sa transformation en centre de préservation culturelle et en attraction touristique, l’attrait du Musée du Palais a conservé toute sa puissance.

Le patrimoine entre changement et préservation

Le Musée du Palais à Pékin a ouvert une nouvelle section abritant du mobilier royal, la Galerie Nandaku du mobilier. [Liu Hongsheng/for China Daily]

Au niveau mondial, les États cherchent à protéger leurs sites patrimoniaux tout en en profitant pour générer des recettes et en les utilisant pour renforcer leurs activités touristiques.

Au Musée du Palais, les bâtons de rouge à lèvres s’inscrivent dans un ensemble de produits comprenant des étuis de téléphone et des éventails en papier. Ces derniers connaissent le succès depuis un certain temps déjà. Cette fièvre commerciale annonce une nouvelle ère pour les sites historiques, en grande partie alimentée par la numérisation grandissante.

Will Liu, directeur des produits au sein de la Trustworth (Beijing) Technology Co, explique que les institutions font appel aux services de son entreprise pour trouver des moyens innovants de solliciter l’attention – et le portefeuille – de la génération du millénaire. Sa société offre des services de scannage et d’impression en 3-D pour aider les musées à numériser leurs trésors.

« La numérisation d’un musée signifiait généralement des photos numériques des artéfacts d’archive, mais aujourd’hui tout se fait en 3-D », précise M. Liu. « Nous envisageons aussi d’exploiter des jeux vidéo à réalité virtuelle et à réalité augmentée à thème muséographique ».

Selon M. Liu, la technologie 3-D apporte deux avantages fondamentaux : elle est beaucoup plus précise que la mensuration manuelle, et elle est plus protectrice des artéfacts car elle évite d’avoir à les toucher ou de les exposer à un environnement potentiellement nuisible. « Si un musée veut élaborer des produits basés sur un artéfact originel, il n’a pas besoin d’expédier la pièce authentique au fabricant. Il peut se contenter de lui transmettre les données 3-D ».

Voilà qui rend facile la transformation de l’information en produits, ce qui peut aider les institutions patrimoniales à élaborer tout un éventail de marchandises.

Une marchandisation astucieuse ne constitue qu’un aspect de cette démarche ; le point central reste la capacité d’attirer des touristes.

Le patrimoine entre changement et préservation

Les Diaolou de Kaiping, tours d’horloge fortifiées dans la province du Guangdong, ont été inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2017. [Xu Jianmei/Xinhua]

Quand les Diaolou de Kaiping, un ensemble de tours d’horloge fortifiées dans la province du Guangdong, ont été inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2017, le site était fréquenté par environ 100 000 visiteurs par an. Aujourd’hui, le but est d’en faire venir deux millions et de générer 50 millions de yuan de recettes.

Mais le discours sur l’augmentation des recettes et celle de la fréquentation met aussi la protection du patrimoine en danger.

Mechtild Rössler, directrice du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, estime que les institutions devraient rester concentrées sur la protection du patrimoine et ne pas se laisser emporter par les considérations financières.

« Le point central de la Convention de 1972 [du patrimoine mondial] demeure la préservation et la protection, non la croissance économique ou touristique. Les avantages économiques quels qu’ils soient devraient profiter aux biens du patrimoine mondial qui ont contribué à les générer et aux communautés qui vivent dans leurs parages ; les revenus devraient être alloués à d’importantes activités de préservation et/ou de restauration ».

Cependant, les sites historiques ont souvent besoin de produire des recettes en augmentation pour compenser les investissements importants nécessaires pour obtenir la désignation Patrimoine mondial.

Le patrimoine entre changement et préservation

La marchandise du Musée du Palais connaît le succès depuis un certain temps. [Cui Jun/for China Daily]

Lee Ho Yin, responsable des programmes de préservation architecturale à l’université de Hong Kong, dit comprendre le besoin de fréquentation touristique mais met en garde contre la sur-commercialisation. « Sur le long terme, la sur-dépendance à l’égard du tourisme sera préjudiciable à un site historique par rapport à son patrimoine culturel et à son environnement physique, ce qui le rendra non viable socialement, économiquement et écologiquement ».

Lee Ho Yin prévient que la culture locale peut être altérée, voire compromise par la commercialisation, et les risques environnementaux sont plus grands du fait de la pollution accrue et de la consommation qui génère des déchets.

« Une trop grande affluence touristique produit une pollution accrue et génère des déchets dont la gestion est au-delà des capacités d’absorption d’un site historique », affirme-t-il. « Imaginez la quantité de déchets qu’un hôtel de 1 000 chambres produit chaque jour ».

À terme, une « réputation de piège à touristes » provoquerait la perte de l’attrait de tels sites auprès des touristes, qui cesseraient de les fréquenter et finiraient par entraver leur préservation à long terme, considère M. Lee.

Mais il évoque aussi les modalités pratiques permettant de dégager des flux de recettes pour les sites patrimoniaux. « L’entretien de tels sites est coûteux – pas d’argent, pas de préservation. La question qui se pose plus largement est la suivante : quelle est la bonne méthode pour rendre les sites historiques économiquement viables ? »

PDF

 
Ce site est produit par le China Daily de la République populaire de Chine.