Une visiteuse utilisant la 5G pour contrôler un sous-marin miniature lors d’une manifestation de promotion de la science et de la technologie à Pékin. [Chen Xiaogen/for China Daily] |
Les restrictions américaines qui frappent Huawei pourraient grever les revenus aux États-Unis et en Asie, ainsi que retarder le lancement des réseaux 5G selon une étude de la banque suisse UBS.
Pour le fabricant américain de semi-conducteurs Qorvo Inc., la journée du 16 mai a été désastreuse. Le cours de ses actions a chuté de plus de 7% après que les États-Unis ont interdit à l’entreprise chinoise Huawei Technologies Co. de faire des affaires avec des sociétés américaines sans un accord spécial du gouvernement américain.
Au cours de sa dernière année fiscale, Qorvo a tiré jusqu’à 15% de ses revenus de sa collaboration avec Huawei. La décision de placer Huawei sur sa « liste des entités » visées signifie que la société américaine ne peut fournir de produits à l’entreprise chinoise, l’une de ses principales clientes.
Le fabricant américain de puces à radio fréquence a vu son cours perdre près de 14% au cours du mois se terminant le 4 juin, ce qui l’a conduit à réduire ses perspectives de revenus pour le trimestre s’achevant en juin, les faisant passer de 780-800 millions de dollars (691-708 millions d’euros) à 730-750 millions de dollars, soit un recul de 6,3% par rapport au point médian.
La révision à la baisse des prévisions de Qorvo traduit l’effet négatif sur les entreprises américaines de l’interdiction décidée par les États-Unis contre Huawei, compte tenu de l’interdépendance complexe afférente à la chaîne logistique globale.
Premier fabricant de matériel de télécommunications au monde et deuxième débitant mondial de terminaux de poche, Huawei étend sa présence sur tout le globe.
Les données fournies par l’entreprise montrent que l’an dernier, elle a acheté des composants et des services d’une valeur avoisinant 70 milliards de dollars grâce à ses 13 000 fournisseurs dans le monde entier, dont 11 milliards de dollars étaient représentés par ses fournisseurs américains. Qui plus est, sur une liste de 92 fournisseurs essentiels rendue publique par Huawei l’an dernier, 33 sont américains, notamment des poids lourds tels que Intel Corp., Qualcomm Inc. et Micron Technology Inc.
Selon le journal britannique Financial Times, les mesures répressives prises par le gouvernement américain contre Huawei exercent une pression telle sur le secteur des semi-conducteurs que les fabricants de puces ont vu leur cours accuser une sévère baisse mensuelle. L’indice Philadelphia Semiconductor Index, qui suit les entreprises concevant, fabriquant et distribuant des semi-conducteurs était en net recul le mois dernier.
L’impact sur les fabricants américains de semi-conducteurs est si fort que la Semiconductor Industry Association, un groupement qui représente la domination américaine dans la fabrication, la conception et la recherche en matière de semi-conducteurs, a fait connaître son point de vue concernant l’interdiction qui frappe Huawei. Son président et directeur général, John Neuffer, a fait une déclaration dans laquelle l’association souhaite que les États-Unis aillent plus loin dans l’allègement des restrictions après la licence temporaire accordée à Huawei par l’administration américaine.
Le 21 mai, le ministère américain du Commerce a indiqué sur son site Web qu’il avait émis une licence provisoire de 90 jours à l’entreprise chinoise pour lui permettre d’acheter la technologie américaine nécessaire à l’entretien des réseaux existants et de fournir les mises à jour de logiciels destinées aux combinés Huawei en service.
M. Neuffer a fait savoir que l’association qu’il préside espérait œuvrer avec l’administration américaine à l’élargissement de la licence de 90 jours pour ne pas affaiblir la capacité compétitive du secteur au niveau mondial, et pour garantir la sécurité économique d’une industrie qui constitue la colonne vertébrale des techniques américaines dans des domaines tels que l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et les télécommunications de la prochaine génération.
De son côté, la banque d’investissement suisse UBS a indiqué dans un rapport de recherche que les restrictions américaines à l’encontre de Huawei freineraient les revenus dans le secteur technologique et le lancement des réseaux 5G dans le monde entier.
En supposant que les restrictions actuelles restent en place, UBS a estimé que les acteurs technologiques américains verraient leurs recettes baisser d’un pourcentage à un seul chiffre au bas de l’échelle, compte tenu des relations commerciales étroites des entreprises américaines avec Huawei. Le secteur technologique asiatique pourrait enregistrer des pertes dont le pourcentage, à un chiffre lui aussi mais au milieu de l’échelle, tandis que l’impact serait neutre pour l’industrie technologique européenne, selon les prévisions de la banque.
Par ailleurs, des restrictions prolongées pourraient retarder le lancement mondial des réseaux 5G. « Ces événements rendent plus probable l’attentisme des fournisseurs de télécom à l’égard du différend, avant leur décision d’achat de la 5G pour leurs réseaux de la prochaine génération », ajoute le rapport UBS.
L’institution financière signale que l’impact sur la chaîne logistique mondiale serait tributaire de « la longueur et de la sévérité des restrictions imposées à Huawei ».
Lyu Tingjie, professeur de télécom à l’université des postes et télécommunications de Pékin, estime que tout préjudice subi par Huawei aura des effets de ricochet étendus dans toute la sphère technologique mondiale et au-delà, du seul fait de l’énorme taille de l’entreprise et de ses performances technologiques concernant la 5G.
En outre, compte tenu de l’imbrication inextricable des entreprises américaines dans la chaîne logistique mondiale, un lancement ralenti de la 5G dans le monde entier sera préjudiciable à leur activité dans la mesure où certains des principaux champions technologiques américains attendent de la technologie sans fil super-rapide une envolée des commandes et des revenus, relève le Professeur Lyu.
Sans de bons réseaux 5G, par exemple, les consommateurs n’achèteront pas de nouveaux téléphones contenant des puces Qualcomm ou Micron. Ils ne produiront pas de données devant être traitées par des processeurs fabriqués par Intel, Nvidia Corp. ou Micro Devices Inc.
Les entreprises technologiques américaines redoutent d’ailleurs un tel résultat, surtout du fait que Washington envisage d’interdire l’accès aux composants ou logiciels américains à d’autres sociétés technologiques chinoises, notamment à cinq firmes de vidéosurveillance.
Selon un rapport Bloomberg, la société Microsoft Corp. a adressé au ministère américain du Commerce une communication écrite dans laquelle elle avertit que les contrôles à l’exportation envisagés par Washington risquaient de mettre les États-Unis à l’écart des collaborations internationales de recherche et « pourraient aller à l’encontre des intérêts américains ».
Bloomberg relate par ailleurs que deux autres firmes, General Electric Co. et Alphabet Inc., s’inquiètent elles aussi de voir les restrictions, proposées à l’égard de technologies jugées essentielles en matière de compétitivité, susceptibles en réalité de les empêcher d’être concurrentielles sur des marchés lucratifs tout en réduisant la capacité d’innovation américaine.
Ren Zhengfei, PDG de Huawei, a résumé les liens étroits qui unissent les entreprises technologiques chinoises et américaines dans un entretien accordé aux médias chinois fin mai. « Les fournisseurs américains nous soutiennent fortement depuis des années. Quand j’ai appris qu’ils luttaient contre la montre pour nous livrer de la marchandise [avant l’interdiction], j’en ai eu les larmes aux yeux ». L’homme de 74 ans de conclure : « L’amitié que nous partageons avec eux s’est formée il y a des années ou des décennies ; ce sont des liens qu’une simple décision administrative ne saurait couper ».