Gao Bowen (à gauche) et Lu Jinhua réalisaient leurs spectacles dans les théâtres et les salons de thé avant la pandémie de COVID-19. [Photo fournie à China Daily] |
Des artistes donnent des spectacles en streaming pour trouver de nouveaux spectateurs, alors que les lieux intérieurs et de divertissement sont temporairement fermés.
La veille de son spectacle, Gao Bowen était nerveux, ce qui n’était pas habituel pour l’artiste vétéran du pingtan.
M. Gao, âgé de 50 ans, est le directeur de la Troupe de Pingtan de Shanghai. Il interprète l’ancienne forme d’art chinois du chant et de la narration depuis l’âge de 17 ans.
Au lieu de réaliser l’interprétation devant une petite foule dans des maisons de thé ou de plus petits théâtres, M. Gao a cette fois présenté son premier spectacle en livestreaming sur Douyin, une application de courte vidéo populaire connue sous le nom de TikTok en dehors de la Chine.
« C’est le premier spectacle diffusé en streaming de la Troupe de Pingtan de Shanghai. Si vous avez déjà vu des spectacles de pingtan, veuillez taper le numéro un. Sinon, taper le numéro deux », a déclaré M. Gao devant un microphone et une caméra au cours du spectacle, assis à côté d’une artiste de pingtan, Lu Jinhua.
Tout en lisant les messages envoyés par les spectateurs qui regardaient le show en direct, M. Gao a présenté des morceaux de pingtan, a répondu aux questions et a interagi avec Mme Lu.
« C’était plus difficile que je ne le pensais. D’habitude, nous nous asseyons sur scène, interprétons très bien les pièces que nous connaissons bien et le public répond par des applaudissements. Cependant, pour ce show en ligne, je ne savais pas où regarder et j’avais du à ajuster le rythme de mon interprétation à différents moments », a raconté M. Gao.
La pandémie de COVID-19 avait entraîné la fermeture d'endroits publics tels que des théâtres et des salons de thé, où M. Gao et d’autres artistes de la troupe de Shanghai donnaient des spectacles régulièrement.
La troupe, fondée en 1951 en tant que première troupe nationale de pingtan, a annulé ou reporté ses spectacles au cours des trois mois écoulés.
D’autres spectacles qui devaient se tenir en Italie et aux États-Unis en juin ont également été annulés, compte tenu de la situation mondiale en raison du coronavirus.
« Nous avons essayé de trouver des moyens pour donner des spectacles. Nous avons donc décidé de nous déplacer en ligne, ce qui est un tout nouveau territoire pour la forme artistique », a expliqué l’artiste.
Pingtan est originaire de Suzhou, dans la province de l’est du Jiangsu, pendant la dynastie des Song (960-1279). L’art implique généralement juste deux artistes : un homme et une femme, qui jouent des instruments de musique traditionnels, – sanxian et pipa –, tout en chantant et racontant des histoires dans le dialecte de Suzhou dans les salons de thé ou les mini-théâtres.
A part des anciens classiques, les nouvelles œuvres de pingtan incluent des versions modernes d’histoires anciennes et des adaptations basées sur des événements ou des sujets sociaux.
Contrairement à l’Opéra de Pékin, une autre forme d’art principale dôté d’une histoire de 200 ans qui a un chant aigu et des arts martiaux, les artistes de pingtan chantent généralement à voix douce.
Pingtan a des fans dans les régions méridionales du fleuve Yangtsé, y compris Shanghai, Suzhou, Hangzhou et Nanjing.
« Si vous montez sur un bateau le long des cours d’eau de Suzhou, vous entendrez le son de pingtan provenant des maisons de thé sur les rives de la rivière. Il y a des centaines de lieux dans la ville où des spectacles de pingtan sont organisés quotidiennement », a dit M. Gao.
La forme d’art a ajouté au mode de vie des personnes âgées qui l’apprécient tout en sirotant du thé et en mangeant des snacks, a-t-il ajouté. « L’atmosphère est très détendue et lente. »
Lu Jinhua fait son premier spectacle en streaming, dans le but de toucher un public plus jeune. [Photo fournie à China Daily] |
Les défis en temps réel
« Lorsque nous organisons des spectacles virtuels, le rythme est plus rapide. Nous devons parler plus au public qu’habitude, contrairement aux spectacles réels. Le langage doit être facile à comprendre et captivant aussi. Par exemple, le premier spectacle en ligne a été le 8 mars, la Journée internationale des femmes, et nous avons choisi un thème sur les personnages féminins classiques en pingtan », selon M. Gao.
Mme Lu, âgée de 35 ans, l’artiste partenaire de M. Gao, a interprété sa nouvelle pièce intitulée « Hair » (littéralement : les cheveux), qu’elle a dédiée aux femmes médecins qui ont combattu en première ligne contre le COVID-19 dans la province du Hubei, la région la plus touchée de Chine.
« Ils se sont fait couper les cheveux pour le rendre plus pratique au travail dans les hôpitaux. Cela m’a touché. J’ai aussi des cheveux très longs et je sais que c’est difficile de s’en séparer », a dit M. Lu. « Je voulais leur rendre hommage. »
La première représentation en direct a été bien accueillie, en particulier par le jeune public. Certains ont dit à M. Gao qu’ils n’avaient jamais regardé de spectacles de pingtan auparavant et qu’ils ont trouvé la forme d’art intéressante et qu’ils voulaient regarder des spectacles dans les théâtres après la réouverture. Certains autres ont partagé le spectacle en ligne avec leurs parents ou grands-parents, qui sont des fans fidèles de pingtan.
Dans la semaine qui a suivi la première interprétation diffusée en direct, le nombre de fans en ligne de la troupe de Shanghai avait augmenté d’environ 1 000. Aujourd’hui, la troupe compte près de 4 000 abonnés sur la plate-forme Douyin, dont la version internationale est TikTok.
Le 15 mars, la troupe a lancé en livestreaming son deuxième spectacle et le 30 mars, le troisième show en ligne a été mis en scène sur le thème des personnages d’un roman classique chinois datant du 18ème siècle, « Le rêve dans le pavillon rouge », écrit par Cao Xueqin.
Né et élevé à Shanghai, M. Gao s’est passionné pour la forme d’art en écoutant des programmes de pingtan à la radio. Il est allé l’école d’opéra traditionnel de Shanghai pour apprendre l’art de pingtan à l’adolescence.
Au fil des ans, il a essayé différentes façons de populariser la forme d’art. Il intègre le pingtan avec différents genres musicaux tels que le rock, la musique étrangère et la musique classique.
Il a interprété le pingtan dans « Lust, Caution », un film de 2007 réalisé par Ang Lee qui se déroule en 1942 à Shanghai. « Un chant subtil et des rythmes changeants fréquents interprétés par M. Gao reflètent très bien les émotions et l’anxiété des personnages », selon un critique du film.
Je n’avais jamais regardé de spectacles diffusés en livesteaming avant de commencer à préparer mon premier show. Je pensais que cela appartenait aux jeunes. Je le trouve maintenant intéressant et stimulant. Cela m’a aussi inspiré à faire plus de show en ligne pour aider les jeunes à apprendre sur le pingtan », a-t-il déclaré.
Depuis février, la troupe de Shanghai partage en ligne des vidéos de répétitions et de séances de pratique d’artistes vétérans pour promouvoir le pingtan.
Nouvelle approche
Tandis que les applications de streaming sont devenues des options de divertissement de plus en plus populaires à nos jours, d’autres formes d’art traditionnelles ont également trouvé de nouveaux publics.
Par exemple, les émissions interprétées par Shan Tianfang, un défunt maître de pingshu (la narration), figurent dans la catégorie de produits des artistes les plus écoutés sur Himalaya FM, une application de podcast.
Outre la troupe de Pingtan de Shanghai, de plus en plus d’artistes des formes d’art traditionnelles s’adaptent aux nouvelles circonstances en interprétant des spectacles en ligne. Les artistes de l’Opéra de Pékin, de l’Opéra de Yueju et de l’Opéra de Kunqu ont donné des spectacles en ligne sur Douyin du 26 au 30 mars.
Des artistes du Hip-hop Cross-Talk Club basé à Pékin interprètent des performances d’une durée de deux heures à 20h, heure locale, depuis le 17 février.
Dirigés par le fondateur du club, Gao Xiaopan, les spectacles présentent un crosstalk de différentes formes telles que le dankou (l’interprétation monologue), le duikou (l’interprétation par deux) et qunkou (l’interprétation par trois personnes ou plus), ainsi que d’autres arts populaires traditionnels tels que le pingshu et kuaiban (un talk show traditionnel récité au rythme des battants de bambou).
L’artiste de l’Opéra de Kunqu Zhang Jun a interprété le 1er mars sur sept sites de streaming principaux qui ont attiré plus d’un million de téléspectateurs. Depuis le 14 février, il réalise des spectacles en direct tous les soirs, montrant ses diverses compétences.
Ayant une histoire d’environ 600 ans, l’Opéra de Kunqu a été inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2001.
M. Zhang, qui a appris le Kunqu à l’âge de 12 ans, a fondé en 2009 le Centre d’Opéra de Kunqu portant son nom à Shanghai pour continuer à repousser les limites de la forme artistique.
« C’est une nouvelle façon d'empêcher la forme d’art traditionnelle de tomber dans l’oubli par le biais des programmes en ligne. Je chante, danse, fais de l’entraînement physique, explique le l’Opéra de Kunqu et discute en temps réel avec les spectateurs, qui n’avaient peut-être jamais regardé le spectacle auparavant et pourraient devenir fans », a raconté M. Zhang à la presse Xinmin Evening News à Shanghai.